23 juillet 2005

Des dangers d’une mission

Salam aleikoum people. Deux mois tout rond depuis ma dernière missive, et j’en suis désolé. Monitoring sécuritaire du 30 Juin, pilotes de brousse introuvables, programme de forage qui part en sucette (du prétubage 6 pouces diamètre in 160mm minimum vous avez ?), et enfin jonglage entre deux bases à cause d’un manque d’expats : vous comprenez maintenant. Plus sérieusement durant ces deux mois bon nombre d’entre vous se sont enquis de mes nouvelles à l’approche du 30 juin (date anciennement fatidique ou tout devait basculer) mais aussi lorsque les médias daignaient lâcher deux trois brèves sur ce pays oublié de tous. Merci les amis vous m’avez donné matière à écrire aujourd’hui, car en plus de vous rassurer j’aimerais vous parler de sécurité et des dangers auxquels nous faisons face et vous faire découvrir encore une facette de ce monde fascinant qu’est le mien depuis plus de 9 mois maintenant. Sécurité donc. Danger? pas vraiment, je dirais même le dernier point de la liste, aussi bizarre que cela puisse paraître. La gestion de la sécurité fait partie intégrante de mon travail au même titre que la logistique ou l’administration. Il faut faire en sorte que les équipes programmes puissent travailler dans des conditions optimales, et cela passe par un monitoring constant de la situation, un relevé régulier des indicateurs sécuritaires mais aussi politiques économiques et sociaux. Vient aussi la validation des rumeurs, informations et autres histoires que je récolte auprès des médias, de la population, de mon staff et des mes collègues expats. Enfin l’analyse et la prise conséquente de décisions. Si je suis responsable de la sécurité de ma base, mon coordinateur logistique est le responsable de la sécurité de l’ensemble de la mission. Nous sommes ainsi en contact quasi quotidien et c’est mon référent direct qui validera ou non (en collaboration avec la chef de mission) toute modification limitation ou encore interdiction que je jugerai bon de prendre. Quand on sait que ce dernier est passé par le Rwanda, le Soudan, l’Ethiopie, et la Somalie, vous comprendrez pourquoi la confiance que j’ai en ce dernier est proche de l’aveugle. Sécurité mais encore ? sans rentrer dans les détails (c’est confidentiel après tout) nous définissons un mode de fonctionnement propre à chaque situation, et déterminons chaque situation en fonction de paramètres propres au contexte. La sécurité ne se gère pas uniquement elle s’anticipe et cela va de l’acceptance auprès des différents acteurs (miliciens, armée) aux précautions d’usage. Que faire en cas d’attaque? Avons-nous de quoi tenir un siège le cas échéant? Comment et par où évacuer si évacuation il y a? voilà mon travail de responsable sécurité. Je la garantis à mon staff, à mes collègues expats, et…à moi-même. Rassurant tout cela non? Je terminerai cette partie en rappelant que la RDC n’est pas un pays ou la sécurité des expats est directement mise en cause. De plus, notre statut d’ONG nous confère une neutralité et une marge d’action qui est plus ou moins respectée. Charge à moi de la faire respecter lors de débordements d’ailleurs en brandissant notre charte notre drapeau et en ouvrant ma gueule pour remettre les choses en perspective, partie que je préfère au passage. Assez parlé boulot, contexte, et autres scénarios hypothétiques. D’autres dangers? Oui et par lesquels je me sens tellement plus concerné. Nous vivons en brousse coupés du monde sans Internet ou téléphone, loin de nos racines, nos amis, nos familles. Nous sommes 2 à 3 expats condamnés à passer l’intégralité de notre temps ensemble, sachant que nous venons d’horizons différents et sommes là pour des raisons toutes aussi différentes. Enfin nous sommes dans un environnement ou il n’y a rien à faire d’autre que travailler. Toute sortie de notre compound se transforme en ballade au zoo ou nous sommes les animaux, montres du doigt par petits et grands, suivis systématiquement par des hordes de gamin, et interpellés en permanence pour de l’argent du travail et je ne sais quoi d’autre. Même pas moyen de passer la nuit à l’extérieur à mater les étoiles vu les moustiques et la Malaria surtout qui guette. Dois je continuer ? l’ennemi ce n’est pas la machette ou le fusil d’assaut, mais bien nous même. Burnt Out en anglais retenez bien cette expression les amis car c’est notre souci à tous ici. Comment gérer tout ce que je viens d’énumérer, reconnaître les symptômes, y remédier ou pas? Une introspection sur vous-même vous tente, je ne vous conseillerais pas meilleure expérience. Point de mensonges ici, ni aux autres, ni a soi même, si tu ne gères pas tu te crames vitesse grand V. Alors comment gérer? Première chose savoir définir un espace de travail et un espace de vie. Je rappelle que sur un compound ces deux espaces empiètent facilement les uns sur les autres, et surtout le rappeler au staff aux autres expats et à soi même. Ensuite il faut savoir se fixer une heure de départ et une heure de fin sans oublier le jour obligatoire de repos ou on ne touche à son ordi que pour écouter de la musique. L’heure de fin tout le monde connaît, mais l’heure de départ? Ben quand on est en brousse pas grand chose a faire le soir donc c souvent dodo tôt pour un réveil encore plus tôt. Footing dans les champs au lever du jour je recommande, un peu de lecture au pieu, ou juste un peu de méditation dans la paillote en prenant son petit déjeuner ça marche. Manger et boire aussi….en Afrique on peut n’avoir rien à manger être en pleine jungle, mais il y a toujours de la bière locale. Donc voilà le topo a manger quelques fruits et légumes du poisson et de l’huile de palme… bien rougeâtre et légère. Et puis il y a donc de la Simba. Deux choses donc, gérer les appros bouffe de notre base support pour se garantir un équilibre alimentaire, et toutes les bouteilles que nous faisons venir pour varier les plaisirs ;-) Monitoring constant de notre consommation d’alcool pour ne pas tomber dedans quoi. Pour vous donner un exemple la cuisine italienne (je persiste à dire à ma collègue qu’elle s’est trompée de vocation) accompagnée de Piña Coladas on essaye de ne pas le faire tous les jours mais bon…ça tombe bien on se lève suffisamment tôt pour faire un footing ma conscience est rassurée! Dernière chose le quotidien bien évidemment. Les tensions pour des conneries, les prises de têtes que l’on reporte sur ses collègues, des frustrations professionnelles qui ressortent sur les mauvaises personnes et sa propre capacité à intégrer cela. Je ne suis pas dans le secret des recruteurs ACF, mais je ne suis pas encore tombé sur des timorés ou des gens réservés. La solution dans l’isolation et le silence. Savoir quand on doit arrêter de parler et savoir quand il faut se réfugier dans sa chambre fermer la porte et ne l’ouvrir qu’après un petit moment. Voilà donc le vrai danger à mon sens, et je terminerai en vous disant que cela fait un mois que je vis dans une sensation d’être arrivé au bout de ce que je pouvais endurer. Un mois que je n’arrive plus à faire tout ce que je viens d’écrire, un mois que je remets en cause ma présence sur cette mission. J’ai demandé officiellement un temps de réflexion pour voir si je suis vraiment cramé ou voir si je peux rebondir. J’ai donné ma réponse ce matin à mes supérieurs. Laquelle? je laisse ceux qui me connaissent supputer la dessus, réponse au prochain épisode dans quelques jours. Dernière parenthèse pour tous les anciens camarades de Mbandaka qui lisent ces lignes, la charmante bourgade a connu une mutinerie de militaires qui a dégénéré à l’arme lourde durant deux jours. Si tout est rentré dans l’ordre à présent, je dois malheureusement vous annoncer que la résidence ACF et la maison voisine MSF ont été complètement pillées et mises à sac à la congolaise. Il ne reste donc que les murs et encore. Les expats ont été brièvement bloqués là bas par les mutins avant d’être secourus par l’armée congolaise. Les UN ont bien entendu fait preuve d’une transparence totale vu que personne n’a vu leur contingent de la journée. Bref les amis il ne reste plus rien de Bongondjo, du squat avec vue sur le fleuve, de Choléra le chat ou de la corne d’Afrique. Gardez bien les photos et les souvenirs de toutes nos soirées passées là bas, car tout cela a été effacé en quelques heures… on garde la foi!

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