12 mars 2007

Et c'est reparti Afghan Style

Salam aleikoum, Dernière dépêche le 12 novembre du Kenya, nouvelle missive le 12 Mars, 4 mois plus tard…..d’Afghanistan! Suis tranquillement dans mon lit à Kaboul en train de redonner vie à ce blog, trop négligé après mes péripéties à la frontière somalienne, et surtout en train de rétablir le contact avec la terre après une année 2006 chaotique et silencieuse à souhait dont je commence tout juste à me remettre. Alors par où commencer ? eh bien sachez que Trayle et moi sommes toujours ensemble et que nous nous sommes fiancés le 3 décembre à Nairobi. Cela s’est fait un dimanche matin au marché Masaï où le vendeur d’anneaux en argent nous en a mis deux aux doigts, avec pour témoins tous les commerçants entourant son tapis. Des fiançailles qui ont fait suite à la proposition en bonne et due forme faite (et acceptée) sur une plage de sable blanc de l’océan indien 6 mois plus tôt. Une manière fort charmante d’officialiser la plus agréable des situations qui nous a vu traverser pas mal d’épisodes et de destinations à deux, avec la manière. Nous ne parlerons pas de mariage pour l’instant, même si plusieurs idées nous trottent dans la tête : on vous tient au courant! Notre mission au Kenya s'est donc terminée le 19 décembre très précisément et nous avons pris un peu moins de 3 semaines de repos entre Paris et Londres le tout entrecoupé de préparations et briefes en tous genres avant de rejoindre ce pays qui en 1979 a vu naître Action Contre La Faim, et qui jusqu’aujourd’hui reste un destination emblématique de l’humanitaire, où son passé, présent, et futur s’y concentrent avec une densité telle qu’il est difficile de ne pas être en questionnement permanent sur ce que nous voyons et vivons ici. Point de bordel dans la tête du Mario mais tout s’entrechoque et part dans tous les sens à vitesse grand V. Comment vous l’expliquer et vous donner une idée de ce pays? Essayons de l’aborder par le biais de la chronologie, meilleur fil directeur à mon sens pour vous emmener là où je me trouve en ce moment. A l’évocation du passé de l’Afghanistan que vous vient il à l’esprit? l’invasion russe, les moudjahiddines, la guerre civile, Massoud, Ben Laden, les talibans, la coalition, le pavot et j’en passe et des meilleures. Les conflits internes et externes qui durent depuis trop longtemps qui ont mis le pays à genoux, qui ont traumatisé pour des générations, qui ont réduit tout espoir d’avenir ou simplement de projets pour le futur à des idées lointaines qu’on ne peut (et parfois veut) pas comprendre. Les parallèles avec le Congo affluent non pas sur le type de conflit ou sa durée, mais bien sur l’horreur qu’il a engendré et sur les conséquences dévastatrices qu’il a eu sur la population…De nôtre côté ONG, eh bien l’Afghanistan reste le laboratoire humanitaire où se sont développés (pour ne pas dire nés) protocoles, procédures, et autres méthodologies qui font aujourd’hui la force d’organisations comme Action Contre La Faim. Une mission enveloppée d’une attention toute particulière par notre siège de Paris (dont bon nombre de ses employés sont passés par là) qui sans vouloir l’admettre lui passe ses caprices tout en exigeant d’elle ce qu’elle peine parfois à fournir, tel une personne qui s’est sorti d’une relation amoureuse, mais qui continue à voir en celle dont il s’est séparé un futur commun aussi mélancolique qu’improbable, alors que cette dernière a grandi, évolué, changé, pour le meilleur et pour le pire. Le présent maintenant, résumé à mes yeux par cet énorme poster de Massoud visible dès que nous sortons du parking de l’aéroport et que nous commençons notre trajet vers la ville. Les afghans à l’image de ce dernier sont un peuple de guerriers pour qui l’honneur passe avant le dialogue, et pour qui les armes restent malheureusement les lettres les plus communes d’un alphabet dont personne ne semble se lasser quoiqu’en disent les médias et les autres...Massoud rime avec la France bien sur qui a investi en ce pays officiellement ou pas un nombre de ressources financières humaines et militaires que nous ne comptons plus. Mon ami Massoud disait notre philosophe du Point, grand résistant dont la réputation n’est plus à faire, mais qui n’hésita pas à bombarder Kaboul au gré des alliances avec certains chefs de guerre et autres parlementaires de la kalachnikov…demandez au Hazaras ce qu’ils en pensent disait un ami, mais bon pas envie de lancer un énième débat sur la question, aussi futile qu’ancienne…cet énorme poster donc pour rappeler à la France ce qu’elle aime, comme une forme d’autorisation de prélèvement automatique? On en est à se poser la question lorsqu’on voit le nombre de français à Kaboul et le nombre de représentations officielles, ONGs, et autres entreprises cocorico. Le label Afghanistan fait fureur côté tricolore, ainsi nous rencontrons les collègues d’Afghanistan libre, ceux d’Afghanistan demain, nous voyons les pancartes d’Afghanistan Bretagne (énorme çà), les projets d’Amitié franco Afghane…difficile de ne pas sourire! Alors ce poster ? tour de marketing, ou véritable identité qu’on s’efforce de bâtir en sus des luttes de clans, des trafics d’intérêts, sans oublier ceux du pavot? Je ne pense pas trouver la réponse à cette question, mais je reste aussi enchanté que fasciné par ce pays où tant de sentiments s’entremêlent. Et le futur alors? La grande inconnue en cette année annoncée comme charnière (tout comme l’année dernière ceci dit…) à tous les niveaux. Celui de la société déjà où tradition, religion, et autres assimilations culturelles se perdent au profit des futilités de la société de consommation. Mais comment reprocher aux afghans de profiter de notre paradis occidental de la consommation, cet exutoire à un présent bien terne que l’on préfère oublier au rythme des sonneries sophistiquées des portables, et au vrombissement des gros 4X4 importés? Au niveau politique aussi où la corruption a complètement rongé une administration incapable de tenir ses promesses d’un lendemain d’élection où Karzaï promettait un minimum syndical jamais matérialisé. Au niveau économique aussi où l’on s’acharne à détruire cette fleur de pavot souvent seul symbole d’une rentrée d’argent qui passe avant tout principe pour des gens dont la misère n’a d’égal que l’absence d’alternatives. Et au niveau militaire, où les tristement célèbres talebans qui exploitent cette nature (souvent) morte pour retrouver l’époque où comme le disait une affiche européenne de 2001, 100% des femmes étaient portées disparues, le tout bien entendu sur fond d’intérêts stratégiques du voisin pakistanais, et du one and only Uncle Sam acharné à vouloir triompher du mal, pour éclipser le rock’n’roll irakien, et autres aventures républicaines que vous connaissez mieux que moi… Le futur de nos ONGs enfin ? je me rends compte avec tout l’enthousiasme et l’intérêt qui en découle que nous écrivons ici même le nouvel ordre humanitaire post 11 septembre, avec la mort progressive dans leur forme actuelle de la neutralité et bon nombre de nos principes de fonctionnement, remplacées par une nouvelle donne sur fond d’intervention humanitaire/militaire de nos amis en treillis, de guerre des religions voire des civilisations (que ces lieux communs sonnent faux) avec toute la confusion type axe du bien versus axe du mal qui peut en découler Voila je pense avoir planté le décor, et je m’arrête là pour cette fois. La prochaine missive racontera notre quotidien kabouli aussi bien au travail qu’en dehors, sans oublier nos amis militaires qui pimentent à leur façon un quotidien déjà assez chargé. Je voudrais terminer ces lignes, en adressant une pensée aussi forte que sincère à tous les amis et collègues actuellement au Darfour. Pas besoin de revenir sur l’actualité ni sur le contexte de cette intervention, mais sachez que les agressions physiques et sexuelles dont font l’objet les populations et les ONGs de cette zone ont dépassé toutes les limites de l’acceptable. Je pense tout particulièrement aux équipes ACF et autres, qui en ont fait les frais récemment, et qui continuent malgré tout d’assurer l’acheminement de l’aide. Big up a vous amigos, on vous soutient par la pensée à défaut de mieux