01 janvier 2005

Dernier message de l'année

Mboté na Bisso Tout d’abord désolé pour le silence radio de ces dernières semaines mais la charge de boulot à laquelle je fais face depuis que je me retrouve seul ici à Mbandaka (un mois et demi maintenant) me laisse vraiment très peu de temps de libre. Je vous écris d’ailleurs en ce premier jour de l’année ou la plupart d’entre vous se remettent de l’indigestion alimentaire et éthylique de la veille et de la semaine dernière …pas de répit pour le Mario qui aura bossé jusqu’à la dernière minute en ce mois de décembre (dont les quinze derniers jours sans pause)… Alors, profitant de toutes les clôtures usuelles de décembre, il est temps de dresser un petit bilan de ces trois mois dans l’humanitaire dont deux mois et demi au Congo. Côté professionnel, premier bonheur de travailler (enfin) pour Action Contre La Faim, dont les méthodes et des techniques développées sur les 25 dernières années nous permettent de fournir une aide intelligente, optimisée, et dotée de tous les outils de suivi nécessaires : on ne s’improvise vraiment plus humanitaire. Arrivé à Mbandaka, j’ai eu la tâche d’organiser et le deuxième bonheur de réussir à moi tout seul des distributions de Non Food Items pour 11500 ménages, touchant de la sorte entre 55 000 et 80 000 personnes, dans les territoires ex rebelles du Congo. J’ai ainsi travaillé sur la réception, l’acheminement, puis la distribution de ces intrants dans un contexte nouveau et difficile, sur des zones enclavées comme ce n’est pas permis. Rajoutez à cela les différentes tracasseries administratives et autres dont nous avons fait l’objet et vous comprendrez ma satisfaction. Enfin, initialement responsable d’une équipe de 16 personnes, j’en gère à présent une soixantaine, agissant comme chef de base, et donc me rajoutant des fonctions de responsable Admin et Programme : un touche à tout crevant, mais une expérience non négligeable qui me donne l’opportunité de faire mes preuves encore plus vite que prévu. Beaucoup de chemins de présentent à moi avec la nouvelle année qui commence et je ne suis que plus impatient de pouvoir les emprunter. Ma vie quotidienne, elle, s’est trouvée changée et bouleversée pour le mieux. Je reste plus que jamais convaincu et heureux de mon choix de vie. Convaincu de faire quelque chose dans lequel je me retrouve enfin, et heureux de rencontrer tous ces gens avec qui je partage ma vision des choses. Se laisser bercer par nos récits, partager ce que nous vivons, rêver à d’autres missions et d’autres horizons, mais aussi se soutenir moralement lorsque l’adversité prend (parfois) le dessus. En bien ou en mal, ce que je ressens et vis depuis trois mois n’a jamais été aussi fort et aussi vrai. Que notre petite cage dorée occidentale me semble loin, et qu’est ce que je me porte mieux surtout! Même les fêtes de fin d’année, traditionnellement occasion de retrouvailles entre famille et amis, se sont révélées à la hauteur de mes espérances. La solidarité inter ONGs que j’ai enfin ressenti, et la fraternité ACF - MSF plus précisément a agi comme le meilleur des palliatifs. Le 24 au soir c’était la résidence ACF qui recevait la crème des ONGs de Mbandaka autour d’un petit repas pas piqué des vers et quelques bonnes bouteilles…pas de quoi se laisser abattre croyez moi! Puis le 31 c’était au tour de MSF de me rendre la pareille, le tout entrecoupé de multiples soirées guitare pinard peinard agrémentées d’anecdotes du terrain et autres partages en tous genres. Qu’il a été dur de se dire au revoir, sachant que pour la plupart nous ne nous reverrions sans doute pas, mais l’espoir de voir nos routes se croiser à nouveau ici ou ailleurs ne fait que nous pousser toujours dans la même direction : à croire que c’est délibérément calculé! L’optimisme biaisé du Mario j’entends certains dire déjà…quid du revers de la médaille donc? Eh bien un revers malheureusement bien présent et qui fait énormément réfléchir comme vous allez le voir. Professionnellement d’abord, certaines décisions que j’ai bien du mal à comprendre. Faute de continuité dans notre financement par les bailleurs de fonds, je me retrouve seul sur ma base, sans respect d’aucune de nos procédures sécuritaires. Je dois faire face à la charge de travail de deux personnes pour une durée inconnue rendant tout notion d’efficacité obsolète. J’évolue aussi dans une province réputée pour la malhonnêteté et la paresse de ses gens, staff local, partenaires, ou autorités. Arriver dans un contexte pareil à quinze jours de la plus grosse pointe d’activité de notre programme ici (j’ai nommé les fameuses distributions) en sus de tous les cauchemars logistiques propres à cette région, est aussi une grossière erreur à mon sens. Oui tout se passe bien au final, mais j’ai commis des erreurs que j’aurais sans doute évité, et qui m’ont coûté du temps, de l’argent, et surtout qui ont mis mes nerfs à rude épreuve. Certes une ONG sans fonds propres comme la mienne est sujette à ce genre d’imprévus, mais ce qui me dérange dans tout cela est tout simplement le fait que je ne l’ai découvert qu’en arrivant sur place ; un mensonge par omission à mon sens. Si je l’avais su avant cela aurait t il changé ma décision de venir au Congo ? sûrement pas mais je me serais préparé différemment et j’aurais été prêt à endosser toutes ses responsabilités par choix, plutôt que par défaut. La négligence de tels paramètres et surtout l’absence de palliatifs temporaires qui auraient pu s’anticiper bien avant mon arrivée (mise en place d’un suivi à distance de certains dossiers…) sont bien dangereux pour une première mission, car pour me cramer et me rebuter de l’humanitaire on ne pouvait pas mieux s’y prendre. Merci à la providence de m’avoir fait débuter à Londres où j’ai rencontré des personnes exceptionnelles qui ont mis la barre très haut et qui m’ont donné suffisamment de foi pour reléguer ce qui m’arrive au rang d’erreur de passage : en trois mois j’en ai rencontré bien d’autres (chez ACF et chez les autres) qui l’ont perdu cette foi et plus d’un qui ont claqué la porte, dégoûtés par de tels choix bancals et des prises de positions aussi hasardeuses. A titre personnel, je ne peux m’empêcher de poser le débat sur notre rôle d’humanitaire et notre utilité ici au Congo Ouest, qui me font m’interroger sur la viabilité à long terme de notre présence. Nous formons des populations vulnérables à l’utilisation d’outils et d’intrants que nous leur distribuons, de même que nous les sensibilisons et les renseignons sur la raison de modifier certaines habitudes comportementales, le tout en respectant leurs différences culturelles. Mais nous nous heurtons à des tabous alimentaires et socio culturels bien plus grands que nos petites interventions, et nous prenons le risque de voir notre message devenir lettre morte et de réduire par conséquent notre rôle à celui de simples distributeurs. MSF ici a le même problème avec ses centres de santé qui n’arrive pas à évaluer l’ampleur des améliorations qu’en théorie ses derniers devraient produire. Oui notre activité et le nombre de personnes que nous touchons par notre action ne sont pas illusoires, mais nous nous heurtons à un manque de moyens assez délicat. Délicat car en l’absence de fonds pour assurer un suivi de meilleure qualité et plus approfondi nous courons deux risques : celui de ne pas connaître la portée exacte de notre action, puis celui de n’avoir qu’une portée limitée plus dangereuse qu’autre chose. Plus dangereuse pour une population qui s’habitue à une aide gratuite, pour elle normale, et plus dangereuse car lorsque nous sommes obligés de sélectionner des bénéficiaires parmi tous ceux dans le besoin, nous créons des tensions et des rancoeurs, que nous n’avons pas les moyens d’évaluer véritablement. Dans un pays plombé par l’attentisme le pillage et la corruption, une telle activité partielle et limitée par manque de moyens peut elle vraiment contribuer à améliorer la situation? Ne faudrait il pas donner la priorité à un travail de fond sur les mentalités et les croyances avant de pouvoir transmettre ce que nous voulons transmettre? Et si au lieu de se disperser, nous concentrions encore plus notre aide (et nos moyens) sur moins de projets mais qui seraient plus efficaces? faut il enfin revoir nos critères financiers minimum qui font que nous décidons d’intervenir ou pas? Déjà nous observons le désengagement de nombreux intervenants au profit de l’est du pays où par contre les besoins sont bien plus urgents : devons nous en faire de même ? Je ne suis que nouveau dans ce monde décidément bien plus compliqué que ce nous voudrions croire, mais le froid réalisme de notre professionnalisme doit avoir le dessus. Je m’en remets à mes supérieurs et malheureusement aux bailleurs de fonds qui dicteront la marche à suivre dans tous les cas. Car le véritable problème reste l’argent et la solidarité internationale. Que représentent les enveloppes allouées par les gouvernements à l’aide humanitaire ? et que représentent les donations de particuliers par rapport à leur pouvoir d’achat ? N’y a-t-il pas moyen de revoir ces montants à la hausse ? Attention je ne me veux surtout pas donneur de leçons, juste mettre en lumière certaines réalités que j’ai découvert ici, pour ne pas devenir un sparadrap sur une jambe de bois….